"LA DECISION" (Gallimard, 2022) – Karine TUIL, ouvrage présenté par France Fortunet. •
Catégorie : Echange Lecture
L’auteure
Née en France en 1972 de parents juifs tunisiens – milieu modeste qui aurait subi un déclassement en quittant la Tunisie (grand père journaliste). Père a fini par avoir un magasin de meubles.
Sa mère, férue de littérature Études de droit à Paris II-Assas – master et D.E.A. en droit de la communication – S’engage dans une thèse de doctorat sur la réglementation des campagnes électorales dans les médias.
En 1998, elle participe à un concours sur manuscrit de la Fondation Del Duca.
Son roman « Pour le pire » est remarqué par JMRouart, Directeur du Figaro littéraire – Il sera publié en 2000 aux ed. Plon dans une nouvelle collection « Jeunes auteurs ».
Il traite de la décomposition du couple.
Son 2ème roman « Interdit » (Plon 2001),
récit burlesque de la crise identitaire d’un vieux juif ; sélectionné pour le Goncourt il obtient le prix Wizo. 2002 : « Du sexe féminin » sur les relations mère-fille toujours dans la veine de l’humour juif. Il clôt trilogie sur la famille juive.
2003 : « Tout sur mon frère »
2005 : renoue avec veine tragi-comique avec « Quand j’étais drôle »
2007 : changement de décor pour « Douce France » qui dénonce fonctionnement des centres de rétention administrative. Parallèlement,elle écrit des nouvelles pour différentes publications et des portraits de personnalités du monde économique.
2010 : 8e roman « Six mois, six jours ».
Sélectionné pour le Goncourt, le Goncourt des lycéens, l’Interallié il finit par obtenir le prix du roman News (Drugstore Publicis »
2013 : « Linvention de nos vies » , Grasset. Il sera parmi les 4 finalistes du Goncourt. Retour sur quête d’identité (juive -musulmane) – En cours d’adaptation pour cinéma Succès international
2016 « L’insouciance », 10e roman chez Gallimard. Plusieurs sélections, obtient Prix Landernau des lecteurs
2019 »Les choses humaines » Prix Interallié et Goncourt des lycéens – adapté au cinéma par Yvan Attal (et la famille)en 2021
2022 : « La décision » (Gallimard »
2023 : « Kaddish pour un amour »
A travers sa biographie, 2 thèmes ressortent :
• Identité (juive) « judéité »/ référence à A. Memmi (Portrait du colonisé/1957)– ou musulmane ?
• Fragilité des individus/hypocrisie de la société : d’où leur fragilité et leur « fêlure »
- Elle dit s’intéresser aux moments de rupture, où tout bascule.
• L’ouvrage :
« La décision »
• Contexte : Le roman se situe en mai 2016, au sein de l’aile ultrasécurisée du Palais de justice de Paris, dans les bureaux du Pôle anti—terroriste, section du T.G.I. Paris mise en place à partir de 1986, devenu après les attentats de 2015 une juridiction autonome, à l’instar du Parquet National financier (2014) ;
Durée maximum de la fonction d’un juge : maximum 10 ans Conditions de travail très particulière (protection permanente de 2 gardes du corps)
Règles de procédure spécifiques : délais de garde à vue allongés, moyens d’enquête (perquisitions), principe inverse de celui qui fonctionne dans toutes les juridictions au nom de la présomption d’innocence et qui conduit à privilégier le maintien en liberté sur la mise en détention.
Très documenté avec interviews de magistrats – cf. Marc Trévidic pour lequel il faut absolument « arracher » le radicalisé à son milieu pour l’en sauver.
Personnage principal Alma REVEL, elle est une juge du Pôle anti-terroriste où elle est coordinatrice de l’équipe ; qualifiée de « juge rouge » (à tort car à raison de son laxisme/empathie avec prévenu) alors que lesdits juges « rouges » se réclamaient d’une justice de classe dans les années 1970.
Elle se trouve confrontée à la question de la remise en liberté ou pas, d’un prévenu radicalisé Abdeljalil Kacem, le but de l’enquête étant de savoir s’il a ou non rompu avec le jihad.
Pour donner du piment à l’affaire, elle est fragilisée par la relation sexuelle d’abord puis amoureuse (grand amour ?) qu’elle entretient avec l’avocat du prévenu, Emmanuel Forest ; ce qui fait qu’elle se trouve enfermée dans « un conflit d’intérêt »
A savoir « la situation dans laquelle un agent public (une magistrate) a un intérêt personnel (son amant) de nature à influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions »..
Or, ses fonctions consistent à rendre la justice = prendre une décision dans son intime conviction, eu égard à la matérialité des faits et non aux prises avec ses émotions.
• Roman écrit à la 1ere personne, qui commence par l’interrogatoire (final) de l’auteur de l’attentat qui vient d’être commis.
Le récit est entrecoupé de fragments d’interrogatoire, ce qui permet de suivre la progression de la recherche de la vérité.
Le roman (récit) se déroule sous la marque de cette affirmation d’Alma Revel : « (p.17) »j’ai l’impression atroce que c’est ma main qui tient l’arme, que c’est moi qui tire. Que c’est moi qui tue.
Il se présente en 3 phases :
la première « la zone de sécurité » = 2/3 du récit – décrit les activités ordinaires d’un juge anti-terroriste
La 2ème (1/3) « La rage et la violence » est centrée sur l’attentat
La 3ème – épilogue – « La manifestation de la vérité »titre énigmatique ?se déroule à Jérusalem en famille (ex-mari, enfants, amant).
Elle se termine par une quasi révélation … excessive.
L’inversion de l’ordre du récit (interrogatoire final en tête) permet d’entrer en empathie avec Alma qui regrette tous les jours la décision qu’elle a prise. Mais alors on comprend mal comment sur le plan personnel elle peut continuer d’avoir une relation avec l’avocat du prévenu alors qu’elle regrette tous les jours de l’avoir fait libéré (« ton client »)
. On ne peut que constater la place centrale occupée parle personnage Alma Revel qui se trouve au centre des relations familiales et professionnelles.
En conclusion, Karine TUIL nous dessine le portrait d’une femme épouse, amante et mère qui choisit d’être une magistrate dévouée corps et âme à l’exercice de sa profession et qui, de ce fait , estompe tous ceux qui l’entourent (même ce merveilleux amant) (voir les dernières lignes et l’arrivée au sommet).
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