Jack Kerouac " Sur la route"
Catégorie : lecture
Notes Bibliographiques
Né Jean-Louis Lebris de Kerouac dit "TI-Jean" le 12 mars 1922 à Lowell dans le Massachusetts ;
Fils de Léo-Alcide Kerouac et de Gabrielle-Ange Levesque.
Ses parents sont nés au Québec.
Leurs grands parents ont émigré du Québec vers les Etats-Unis. Ils ont des ascendants bretons. "Ti-Jean n'oublie jamais que tu es breton "lui répétait son père.
Sa mère est cousine issue de germaine du premier ministre québécois René Lévesque, c'est une catholique fervente ;
Kerouac la surnomme "mémère".
Le père est imprimeur et Ti-Jean apprend très tôt à taper à la machine ; il devient virtuose
. Ils sont surnommés "Canuck"( français originaire du Canada) ou "Coon-Ass" (cul de raton laveur) manière peu flatteuse de qualifier les"nègres blancs de l'Amérique" venus du Québec travailler dans les filatures.
Jusqu'à l'âge de 6 ans il ne parle que le français et plus précisément le joual, dialecte québécois de la région de Montréal.
C'est à l'école qu'il commence à apprendre l'anglais et deviendra bilingue à 15 ans.
"J'ai jamais eu de langue à moi-même.
Le français patois jusqu'à 6 ans, et après ça l'anglais des gars du coin.
Et après ça les grosses formes,
Les grands expressions de poète, philosophe, prophète.
Avec toute ça aujourd'hui j'toute mélangé dans ma gum(tête)...
Je suis canadien français, mis au monde à New England.
quand j'fâché j'sacre souvent en français.
Quant j'rêve j'rêve souvent en français.
Quant j'braille j'braille toujours en français".
Le rapport de Kerouac à la langue anglaise est en parie du à son éducation.
Il a d'ailleurs écrit à un de ses critiques:
"Si je manie les mots avec une telle aisance, c'est parce que l'anglais n'est pas ma langue, et que je doit le refondre pour l'adapter à des images françaises"
Il grandit dans un milieu catholique fervent ce qui tranche avec le protestantisme majoritaire au États-Unis.
Ses racines, sa francophonie, et sa religion sont à l'origine d'un sentiment d'exclusion.
Ce sentiment d'être étranger et différent est sans doute à la base de son rapprochement avec les exclus de l'Amérique avec lesquels il s'identifi
e. A l'âge de 4 ans il est traumatisé par la mort de sont frère Gérard âgé de 9 ans. C'est une plaie qui ne se refermera jamais et sera à l'origine d'un roman : "vision de Gérard" écrit en 1956, publié en 1972.
La vie errante de Kerouac prend fin après le succès de "sur la route" mais il sombre dans l'alcoolisme.
Il échoue dans sa quête de spiritualité bouddhique; mais cette expérience se retrouve dans son roman "les clochards célestes"(écrit en 1957-publié en 1958).
Il est irrité par le développement d'un bouddhisme de mode, dont il est en partie responsable.
Il s'éloigne d'Allen Ginsberg et dans une moindre mesure de William Burroughs.
En 1957 à bord d'un tanker il rejoint William Burroughs exilé à Tanger au Maroc, il l'aide à mettre en ordre et à dactylographier des notes amassées pendant des années de déchéance toxicomane, de ce travail naitra "le festin nu".
En 1965 il gagne la France à la recherche de ses racines bretonnes, persuadé que ses ascendants sont d'origine noble.
"j'essayais de découvrir quelque chose sur mon ancienne famille, j'étais le premier Lebris de Kerouac à remettre les pieds en France, au bout de deux cent dix ans, pour essayer d'y voir clair et j'avais prévu de me rendre en Bretagne".
Il tente en vain de retrouver la trace de ses ancêtres dans les vieux registres.
C'est une déception pour Jack Kerouac qui, depuis l'enfance, s'imaginait descendre d'ancêtres nobles.
Ce voyage sera la matière première pour l'écriture de "Satori à Paris" publié en 1966.
Une généalogiste madame Patricia Dagier en 1999 retrouve cet ancêtre ; en fait il se nomme Urbain-François Le Bihan De Kerouac, il est fils de notaire à Lomer.
Cet ancêtre a du s'exiler au canada car accusé de viol lors d'une soirée alcoolisée.
Il transforme son patronyme en Lebris de Kerouac.
Si depuis 1960 la qualité de ses écrits ne diminue pas ("Big Sur" "Anges de la désolation"et "Vanité de Duluoz"), sa vie comme sa santé tournent mal. Il est victime d'un délirium trémens, d'hallucinations et croit apercevoir la croix dans le ciel.
Il poursuivra son intoxication alcoolique et redevient un catholique fervent.
Il épousera sa troisième femme Stella Sampas .
Abattu et seul il passe sa fin de vie auprès de sa mère avec sa troisième femme. Jack Kerouac s'est marié trois fois :
la première fois avec Edie Parker, cette union ne durera que 2 mois,
la deuxième fois avec Joan Arverty le mariage ne dure que 6 mois, mais de cette union naitra sa fille Janet Michelle Kerouac, il ne la reconnaitra jamais vraiment, elle suit les traces de son père et devient écrivaine, publie "Baby Driver" (1981) et "Trainsongs" (1988) elle meurt en1996 à l'âge de 44 ans avant d'avoir achevé son troisième volume "Parrot Fever".
Il épouse sa troisième femme Stella Sampras en 1966.
Elle est la soeur d'un ami d'enfance tué en Europe pendant la deuxième guerre mondiale. Elle prend soin de la mère de Kerouac qui est immobilisée au lit et de Jack Kerouac miné, détruit par l'alcool, incapable de s'occuper de sa mère.
Mais la femme qui a le plus compté pour Jack Kerouac c' est sa mère, c'est toujours vers elle qu'il revient après ses pérégrinations.
C'est une fervente catholique, sectaire, elle hait Allen Ginsberg qui est juif.
Certes elle laisse à Jack Kerouac toute sa liberté pour la littérature mais elle le maintient dans une foi catholique et l'entretien dans une culpabilité à l'égard de la mort de Gérard ce qui le rongera toute sa vie.
.
La famille Kerouac connait des difficultés financières l'obligeant à souvent déménager.
C'est un sportif accompli il pratique le football américain à un haut niveau.
La littérature et la musique sont ses deux autres passions.
C'est un bon élève il rentre à l'université de
Columbia de New-York. Il découvre le jazz et crée une rubrique musicale dans le journal de son collège.
A la suite d'une fracture de la jambe au cours d'un match de football et d'une mésentente avec son entraineur il arrête le sport
. Par l'intermédiaire d'Edie Parker sa future femme il fera connaissance de Lucien Carr, d' Allen Ginsberg, de William Burroughs.
Il abandonnera l'université à l'automne 1941.
Jack kerouac, Allen Ginsberg, William Burrougts rêvent de devenir écrivains.
Kerouac écrit "la mer est mon frère" et commence l'écriture de "Avant la route".
Le trio des écrivains "beat" naît à cette époque. Ils ont un net penchant pour une vie dissolue ( sexe, drogue, alcool) et fréquentent assidument les caves d'Harlem où se produisent les stars du jazz,Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Count Basie.
En 1944, Kerouac aide Lucien Carr qui a tué un professeur de gymnastique à coups de couteau, il est inculpé de complicité et placé en détention.
Les parents d'Edie Parker paient la caution à condition que Kerouac épouse leur fille. Le mariage ne durera que quelques mois.
En 1946 son père meurt d'un caner du pancréas. Kerouac le vit comme un abandon
"J'ai pensé que tu m'as abandonné mon père, tu m'as laissé tout seul pour m'occuper du reste quoique-ce soit. Il m'a dit prends soin de ta mère quoique tu fasses. j'ai promis et j'ai tenu mes promesses"
Il vit de petits bouleaux, sa passion des voyages le conduit en mer dans la marine marchande, il tente une expérience dans la Navy mais il ne supporte pas la discipline.
Du fait de consommation effrénée de drogues (benzédrine, marijuana, alcool) Kérouac est victime d'une thrombophlébite.
Ces malheurs lui font penser qu'il est "beat" (foutu). il se rend compte qu'il a un désir subconscient d'échouer, une sorte de vœux de mort.
"La seule chose qu'on souhaite ardemment, tous les jours de la vie, celle qui nous fait soupirer, gémir, éprouver toutes sortes de bouffées de douceur écœurante, c'est le souvenir de la béatitude perdue que l'on a dû connaître dans le ventre maternel, et qui ne peut se retrouver -- mais on ne veut pas l'admettre -- que dans la mort.
Mais qui veut mourir ?
J'y reviendrai.
Dans le tourbillon d'évènements qui se succédaient, je gardais cette idée derrière la tête, en permanence. Je l'ai dit à Neal, et il y a aussitôt reconnu le pur désir de mort" Kerouac lit beaucoup, ses auteurs favoris Rabelais, Villon, Proust, Céline, Shakespeare, Joyce, Dostoïevski, la lecture de Thomas Wolfe avec sa vision mythique de l'Amérique stimule son envie de s'évader, de voyager.
En 1946 Neal Cassady percute ce trio d'écrivains. Neal Cassady instable toujours en mouvement exerce une influence profonde sur Kerouac, c'est le signal pour quitter la machine à écrire et se lancer sur les routes.
De 1947 à 1950 il erre dans tout les sens entre les États-Unis et le Mexique et accumule de nombreuses notes sur ses carnets noirs. En avril 1951 il écrit d'une façon spontanée et rapide "sur la route". il tape son roman sur un rouleau, c'est un succès, c'est la naissance d'un mythe. contexte le rapport de Jack Kerouac avec les femmes est perturbé.
"Les femmes représentent les normes, l'ancrage, il faut larguer les amarres".
Il ne peut pas se fixer, il aura des aventures passagères qui seront parfois à l'origine de roman comme "les souterrains" écrit en1953 publié en 1953 et "Tritessa" écrit en 1955-1956 publié en 1960.
Il publiera également de nombreux essais, des poèmes et des haïkus.
"Le son du silence est toute l'instruction Que tu recevras" "Oscillants sur de délicates jointures la Feuille d'Automne Presque détachée de sa tige"
Le parcours de Jack Kerouac, entre solitude, extase, souffrance et jubilation, est le parcours d'un homme qui toute sa vie a cherché à se sauver : par l'amour, par la religion, par la drogue, par le voyage et surtout par l'écriture.
Pour lui, l'écriture était une prière, une entreprise de rédemption. Profondément catholique, malgré son anticonformisme Kerouac rejettera peu avant sa mort prématurée la contre-culture américaine des années 1960 pourtant née, en partie, de ses écrits.
Jack Kerouac meurt le 21 octobre 1969 à l'âge de 47 ans.
Il est enterré à Lowell la ville de son enfance.
Il sera reconnu comme l'un des plus grands écrivains américains du XX siècle; inspirera de nombreux écrivains, de nombreux artistes comme Bob Dylan par exemple.
Sur la route, le rouleau original, traduit par Josée Kamun ( Gallimard 2010)
Pour faire publier "sur la route" en 1957 Kerouac avait du modifier sa version originale, censurer certains passages, faire des chapitres, changer le nom des protagonistes.
En exergue de "sur la route le rouleau original" un poème de Walt Whitman Camerado,
je te donne ma main!
Je te donne mon amour,plus précieux que l'argent,
Je te fais don de moi avant le prêche et la loi;
Me feras-tu don de toi ?
Viendras-tu voyager avec moi ?
Resterons-nous unis tant que nous vivrons ?
"Sur la route est le roman de deux gars qui partent en Californie en auto-stop,à la recherche de quelque chose qu'ils ne trouvent pas vraiment, au bout du compte, qui se perdent sur la route ,et reviennent à leur point de départ pleins d'espoir dans quelque chose d'autre"
C'est ainsi que Jack Kerouac résume son livre.
En 1951 Jack Kerouac raconte les années de bohème passées sur la route entre vagabondage, nuits d'ivresse, psychotropes, rapports sexuels, divagations poétique;s
Il veut écrire un énorme roman.
Il est à sa machine comme au volant de la voiture et le rouleau se déroule comme la route.
En écrivant il
bouffe la route.
Les allers et retours du clavier donnent le tempo, le pulse. on ressent la vitesse.
"Du 2 avril au 22 avril 1951, j'ai écrit 125 000 mots d'un roman complet, une moyenne de 6 000 mots par jour, 12 000 le premier, 15 000 le dernier. J'ai raconté toute la route à présent. Je suis allé vite parce que la route va vite...écrit tout le truc sur un rouleau de papier de 36 mètre de long. Je l'ai passé dans la machine à écrire et en fait pas de paragraphe ...Je l'ai déroulé sur le plancher et il ressemble à la route..." (Vidéo)
L'auteur craignait de perdre le fil de sa pensée s'il devait s'interrompre un seul instant.
"Ce ne sont pas les mots qui comptent, mais l'urgence de ce qui est dit".
En fait Kerouac cultive le mythe de la frappe spontanées sur un rouleau mais ceci est remis en cause par sa dernière femme et son beau-frère Sampas :
"ce tapuscrit a été dactylographié sur des feuilles de papier à calligraphie japonaise,puis collées bout à bout".
Dans sa préface à toute allure, Howard Cunnell nous offre une autre version "il est clair que ce rouleau est un objet façonné par Kerouac, lequel n'est pas tombé sur lui par hasard.
Il a découpé le papier en huit feuilles de longueurs inégales, et il l'a retravaillé pour qu'il puisse passer dans la machine.
Les marques de crayon et les encoches aux ciseaux sont encore visibles sur le papier.
On ne sait pas s'il les a scotchées au fur et à mesure, une fois tapées, ou s'il a attendu d'avoir achevé le tapuscrit avant de coller les feuilles".
C'est le mythe, la légende qui resteront.
Pendant 7 ans aucun éditeur ne veut le publier .
Il est plongé dans des négociations sans fin avec les éditeurs qui veulent changer les noms des personnages pour éviter les procès, rajouter des ponctuations, des paragraphes.
Ces modifications vont effacer cette idée du temps, du souffle, si l'on recoupe sa phrase, si on lui met des incises, si on la pacifie, que restera-t'il de sa musique à lui!
Sur la route, après bien des réécritures, par Kerouac sera finalement publié en 1957 après bien des modifications.
Une traduction censurée paraitra chez Gallimard en 1976, une traduction par Josée Kamoun non censurée du texte original est publiée par Gallimard en 2010 sous le titre "sur la route le rouleau original"
A sa sortie, les critiques sont partagées, "
oeuvre d'art authentique et roman majeur" pour Gilbert Millstein du New York Times ;
pour Truman Capotte par-contre "ce n'est pas de l'écriture, c'est de la dactylographie".
Beaucoup de critiques conservateurs lui reproche son absence d'intrigue, sa décadence.
La transgression ce n'est pas seulement le sexe ni le vol de voiture, la transgression ultime c'est peut être la déconstruction de la forme.
Dans ce récit il n'y a pas de temps mort, pas le temps d'une pose pour respirer, tout va très vite.
C'est l'histoire de jeunes qui ne respectent aucune convention ; issus de milieux divers depuis la bourgeoisie jusqu'aux clochards. Ils traversent le pays dans tout les sens sans pouvoir expliquer pourquoi.
Ce qui importe ce n'est pas tant la destination que la route elle-même;
C'est une insatisfaction permanente, une fois arrivé il faut partir. Rester immobile c'est mourir.
"La route est pure.
La route rattache l'homme des villes aux grandes forces de la nature(...).
Sur la route, dans les restaurants qui la bordent, les postes à essence, les faubourgs des villes qu'elle traverse, les amitiés et les amours de passages se nouent.
La route c'est la vie."
Tout ceci dans un contexte de précarité financière.
Toute cette vie baigne dans une atmosphère musicale, un jazz nouveau vivant, populaire qui pulse, qui donne le tempo et qui participe à cette contre-culture.
Cette génération veut s'affranchir de toutes les règles de cette Amérique bourgeoise.
Elle n'hésite pas à choquer avec des mots grossiers, vulgaires ; à montrer l'autre Amérique, celle que l'on ne voit jamais, celle des drogués, des alcooliques, des homosexuels, des prostituées, des vagabonds, des écrivains visionnaires drogués jusqu'aux yeux, de ceux qui vivent la nuit, ceux qui volent les voitures, ceux qui ont grandi dans des maisons de correction, ceux qui changent de filles tous les soirs pour finir avec des hommes au fond d'un hôtel minable.
C'est toute une humanité qui vit dans ce roman.
C'est une fraternité qui transparait.
"Je marchais le long des voies dans la vallée, à la lueur de cette interminable et sinistre journée d'octobre, dans l'espoir qu'un train de marchandises de la Southern Pacific se ramènerait et que je pourrais me joindre aux clochards amateurs de raisins et lire des bandes dessinées avec eux."
Kerouac et ses amis veulent vivre libres, jouir de la vie sans entrave, se sont des fous furieux de l'existence qui vivent comme ils conduisent les voitures qu'ils volent par ailleurs, c'est-à-dire pied au plancher.
C'est aussi une histoire d'amitié avec Allen Ginsberg et Neal Cassady.
Neal Cassady parait le plus authentique c'est le compagnon de route idéal, une sorte de frère pour Jack Kerouac, attachant car toujours à la recherche de son père clochard, qu'il ne retrouvera jamais.
C'est un petit délinquant mais, en même temps, un gaillard robuste et joyeux, avec lequel on ne s'ennuie pas. Il est doué d'un solide appétit sexuel, qui le fait sauter sur tout ce qui bouge. Il n'est jamais pris au dépourvu par les hasards du voyage, en clair il sait se débrouiller et fascine presque instantanément ceux qu'il rencontre. Mais le problème,c'est qu'il est tout aussi capable de vous emporter dans sa folie que de vous y laisser et de vous abandonner en plein Mexique, alors que, malade et sur un lit d'hôpital, vous avez besoin d'aide.
Neal Cassady c'est l'art de brûler la vie par les deux bouts, quitte à vous brûler s'il le faut.
Authentique certes il l'est, mais cette authenticité, cette capacité à jouir de la vie a aussi son revers, une face plus sombre, comme si la vie de tout les jours faisait appel à d'autres qualités que celle de la fureur et de la quête de l'absolu, en d'autres termes, il déçoit beaucoup et sur la route se présente de ce point de vue comme une sorte d'initiation, certaines choses ne peuvent être comprises qu'à travers la déception et l'expérience concrète d'une douleur causée par les gens que l'on aime vraiment.
Voici comment Kerouac présente Neal au début du roman quand il explique qu'il avait déjà entendu parler de lui avant de le rencontrer comme on entend l'histoire de personnages mythiques légendaires et dont on aimerai devenir l'ami.
"Avec l'arrivée de Neal a commencé cette partie de ma vie qu'on pourrait appeler ma vie sur la route. Avant j'avais toujours rêvé d'aller vers l'ouest, de voir du pays, j'avais toujours fait de vagues projets, mais sans jamais démarrer, quoi, ce qui s'appele démarrer.
Neal, c'est le type idéal, pour la route, parce que lui, il y est né, sur la route, en 1926, pendant que ses parents traversaient Salt Lake City en bagnole pour aller à Los Angeles.
La première fois que j'ai entendu parler de lui, c'était par Hal Chase, qui m'avait montré des lettres écrites par lui depuis une maison de correction, dans le Colorado.
Ces lettres m'avaient passionné, parce qu'elles demandaient à Hal avec une naïveté attendrissante de tout lui apprendre sur Nietzsche et tous ces trucs intellectuels fabuleux, pour lesquels il était si justement célèbre.
A un moment Allen Ginsberg et moi, on avait parlé de ces lettres, en se demandant si on finirait par faire la connaissance de l'étrange Neal Cassady.
Cela remonte à loin, à l'époque où Neal n'était pas l'homme qu'il est aujourd'hui, mais un jeune taulard, auréolé de mystère.
On a appris qu'il était sorti de sa maison de correction, qu'il débarquait à New York pour la première fois de sa vie ; le bruit courrait aussi qu'il avait épousé une fille de seize ans, nommée Louanne".
Ce dont-il s'agit dans le roman c'est peut être avant tout d'un certain état d'esprit et c'est cela qu'il faut y chercher avant même d'y voir une histoire précise, celle-ci est quasiment absente. Il s'agit de restituer une certaine manière de vivre dont toute une génération, que l'auteur a lui même baptiser la beat génération, va ensuite s'emparer.
Mais alors de quoi s'agit-il, et que raconte le livre s'il n'est pas question d'un roman traditionnel, avec une narration classique, et surtout à quoi cette route nous conduit elle exactement, car c'est une chose que d'être sur la route, mais encore faut il savoir pour aller où, et si cette route n'avait pas de fin, pas de point d'arrivée, pas de but et qu'en somme elle ne conduisait nulle part qu'à elle même.
Cela voudrait il dire que le roman aurait une visée autre que celle de la seule et simple contestation sociale.
Il faut se replonger dans le contexte historique de l'après guerre. les États-Unis sont la première puissance mondiale et l'on entre dans le contexte de la guerre froide.
L’enjeu de l'affrontement entre les deux blocs n'est pas seulement la démocratie, le libre marché, la société de consommation, mais aussi de défendre un idéal de vie qui va s'étendre à l'ensemble de la planète, un idéal de vie à l'américaine.
L'équation du bonheur c'est la production, la consommation de masse, mais surtout dans la croyance du bien fondé sur la religion, l'union dans le respect de la constitution et de la bannière étoilée.
En clair : le dollar, dieux, la constitution forment un ordre social conquis de haute lutte par des générations d'hommes et de femmes au cours des trois cents dernières années .
C'est le credo américain qui unit le peuple américain.
Or ce credo est maintenant perçu comme un carcan par une génération qui en rejette les codes et qui rêve de s'émanciper de la morale imposée par leurs parents, celle du travail.
Toute tentative de changement est perçue comme une critique favorable au communisme et donc comme un danger qu'il faut absolument éradiquer.
Au pays de la liberté, les agitateurs de la contre-culture que l'on appel désormais les beatniks ne sont pas les bienvenus dans le contexte prochain du maccarthysme et de la chasse aux sorcières.
C'est pourquoi Kerouac va jusqu'à dire qu'il se sent comme un étranger dans son pays.
Sur la route est le cri de révolte et de fureur de cette génération contre ces valeurs là.
Cette génération c'est ce que Kerouac a appelé la beat génération. Beat qui signifie littéralement rythme cela renvoi donc d'abord à l'idée du rythme et donc de la musique omniprésente dans le roman qui est porteuse en elle même des valeurs de la contre-culture comme le jazz, par exemple avec Charlie Parker.
Mais le terme beat c'est aussi l'idée de pauvreté car il signifie fauché en argot, et encore dans un autre sens la béatitude le bonheur ultime.
La beat génération c'est donc un concept qui voit le jour aux États-Unis mais qui cherche à fuir les standards de la société capitaliste et sa définition du bonheur matériel pour vivre dans la pauvreté et le voyage tout en étant joyeux.
Le beat c' est être pauvre mais joyeux. Il s'agit de se libérer de l'avoir pour vivre dans l'être, et, en ce sens c'est une joie fondée sur une certaine forme de détachement spirituel et de poésie, comme dans ce passage, ou Jack Kerouac voyage à l'arrière d'un camion avec quelques compagnons de circonstance qui se comprennent et qui partagent le même sentiment de plénitude dans l'immensité du Wyoming.
"Le camion était près à repartir. On allait sur minuit, il faisait froid. Gene, qui ne comptait plus sur ses doigts ni sur ses orteils le nombre de fois où il avait sillonné le pays, a dit que si on ne voulait passe geler, il n'y avait qu'une chose à faire, se blottir tous sous la grande bâche. Alors c'est de cette façon, et en liquidant la bouteille, qu'on est restés au chaud malgré l'air maintenant glacial qui nous piquait les oreilles. Plus on grimpait dans les Hautes Plaines, plus les étoiles étaient brillantes. Nous étions dans le Wyoming, à présent . Allongé de tout mon long, je gardais les yeux rivés sur la splendeur du firmament, je bénissais les heures glorieuses que j'étais entrain de vivre, tout le chemin parcouru depuis Bear Mountain, et la façon dont les choses avaient fini par s'arranger ; j'étais aussi pas mal émoustillé à la perspective de ce qui m'attendait à Denver, tout, n'importe quoi ferait mon affaire. Et Mississippi Gene c'est mis à chanter. Il chantait d'une voix tranquille et mélodieuse, avec son accent des berges du fleuve, une chanson toute simple : "j'avais une mignonne chérie, une môme de seize ans, y avait pas plus jolie". Il répétait ce refrain, en l'agrémentant d'un vers ou deux, ça parlait de sa vie en général, de tout le chemin qu'il avait fait, ça disait qu'il voulait bien la retrouver, mais qu'il l'avait perdue pour de bon. "Elle est rudement belle ta chanson, Gene", j'ai dit". " J'en connais pas de plus tendre", il a répondu avec un sourire. "J'espère que arriveras où tu veux, et que quand tu y seras tu seras heureux._ Je m'en tire toujours , d'une façon ou d'une autre".
On voit que la soif de spiritualité se fait sentir, face à la grandeur et la splendeur du ciel et à travers la divagation poétique des voyageurs.
Ils sont dans une sorte de recherche mystique du pur plaisir d'exister, ils se laissent aller.
Mais Jack Kerouac considère que la spiritualité mise en avant par bon nombres de jeunes gens se revendiquant de la beat génération n'était que superficielle et tenait plus à l'alcool et aux drogues qu'à une véritable quête intérieure. Il est dépité devant la contre-culture issue du roman devenue un phénomène de foire, se caricaturant elle-même, se réduisant à une mode vestimentaire, à un art soit-disant subversif, et à des artistes qui combattent des moulins à vent en faisant de grandes déclaration de principe tout en restant bien à l'abris dans les milieux new-yorkais .
Kerouac se moque de cette soit-disant avant-garde culturelle qui s'inspire pourtant de son roman mais qui n'a jamais pris la route et qui ne sait pas ce que s'est que de vivre dans un véritable lâcher prise sans penser aux lendemains, comme s'il suffisait d'enfiler un pantalon à patte d'éléphant et d'avoir un bandeau dans les cheveux pour être un contestataire puissant face à l'ordre social.
En réalité la mode du beatnik lui semble une farce de mauvais goût mais c'est pourtant à lui que l'on demande des explications. "The Cult of Unthink ( culte décérébré ), l'article publié dans Horizon du 15 septembre 1958 par Robert Brustein, associe Kerouac aux "tribus menaçantes" des émules de Marlo Brando et de James Dean.
La beat génération, dit Brustein est une génération d'aigris,
"tout dans les muscles et rein dans le crâne",
" prêts à réagir par la violence à la moindre provocation".
Il n'y a pas bien loin entre
"ce poète qui cherche à prendre son pied et l'adolescent qui, pour prendre son pied, plonge son couteau dans la chair de sa victime, en la remerciant pour cette "expérience".
Kerouac, de tout temps pacifiste, Kerouac qui a abandonné son fusil dans le champ de manœuvre quand il était en camp d'entraînement dans la marine, a répondu à Brustein le 24 septembre, soit une semaine avant la parution des "clochards célestes", livre résolument pacifique et mystique :
On ne voit pas mes personnages se déplacer en hordes ; ils n'ont pas de couteau sur eux.
Avec "sur la route", j'ai voulu écrire un livre sur la tendresse entre des jeunes gens turbulents, indisciplinés, comme votre grand-père a pu l'être vers1880. Je n'ai jamais, au grand jamais, exalté un personnage violent(...)Dean Moriarty et sal Paradise sont des êtres sans vindicte, contrairement à leurs détracteurs".
Dans son essai "publier l' Amérique" en préface de sur la route le rouleau original
Penny Vlagopoulos professeur de littérature cite Kerouac : il dit
"On va
"On va changer de nippes et remiser les fauteuils du salon pour s'asseoir par terre, on verra bientôt des secrétaires d’États beat, on instituera de nouveaux oripeaux, on trouvera de nouvelles malveillances, de nouvelles vertus, de nouveaux pardons".
En clair le beat est entrain de passer du statut de contre-culture à celui de culture au sens institutionnel du terme, dès la fin des années 50 et donc de créer ses croyances ses dogmes, ses certitudes, ces apôtres et ainsi de suite, tout en ayant perdu le contact avec ses origines, le pire estime Kerouac, c'est que les jeunes beatniks s'imaginent en quête de spiritualité sans même connaitre la signification de ce mot.
Quels seraient les ressorts spirituels de la beat génération, s'ils existent au delà des relations que l'on prête à ce mouvement avec le bouddhisme ?
Peut-on les rejeter aussi simplement sous prétexte qu'ils ont été dévoyé par une jeunesse le plus souvent en quête d'une sensation forte ?
C'est un fait que ces jeunes gens dans le roman sont en quête d'une certaine forme de transcendance, ils cherchent une élévation spirituelle dans le vagabondage, le laisser aller, ainsi que dans le mépris du corps, de l'hygiène et de la santé; ils vivent dans la crasse et le revendiquent.
Or si cette manière de vivre, et de revendiquer à la fois la liberté sociale et l'émancipation spirituelle, fera école dans tous les mouvements undergrounds qui suivront, la beat génération n'est en rien fondatrice d'une telle attitude et d'une telle philosophie.
Près de 2300 ans plutôt dans la Grèce antique le mouvement cynique fondé par Antisthène plus connu avec Diogène a prôné le même détachement, le même lâcher prise.
La philosophie cynique était principalement fondée sur la pauvreté, la crasse, la mendicité, ainsi que toutes les pratiques destinées à choquer les contemporains, faire ses besoins partout, faire l'amour sur les places publiques, dormir dehors comme un clochard, et ne jamais manquer une occasion de se moquer de ceux qui s'en offusquent et de les provoquer. Il s’agit de vivre dans l'indigence la plus totale, de bousculer toutes les normes, de contester toutes les valeurs.
Pour les cyniques, la meilleur façon de vivre c'est de vivre en fonction de son corps. La nature est la seule voix à suivre, on mange quand on a faim, on boit quand on a soif,on fait l'amour dès que l'on en a envie, on urine dès que l'on en éprouve le besoin, tout cela c'est la nature.
Or dans le roman c'est exactement de cela dont-il s'agit: chercher une libération, à la foi sociale et spirituelle, par le mépris et le dépassement du corps.
Le corps et un objet social, il faut le soigner, le rendre présentable pour être accepté en société, mais c'est aussi un objet spirituel. C'est ce que la beat génération redécouvre et cela dans l'Amérique puritaine du vingtième siècle.
Jack et ses amis n'ont aucune hygiène, ils vivent dans le soucis permanent de satisfaire tous leurs besoins naturels, ils font l'amour partout, au moment où ça les prend, comme de parfaits disciples de Diogène, et cela précisément pour ne plus avoir à y penser, pour pouvoir se concentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire une quête d'absolu et de plénitude, jouir de la vie, en jouir furieusement, voilà ce qui les guide.
C'est aussi pourquoi les personnages sont sur la route, mais sans aller nulle par en particulier, certes ils se donnent une destination à atteindre, mais celle-ci n'a qu'un intérêt secondaire par rapport au chemin lui-même.
Enfin on comprend également en quoi il s'agit d'un voyage initiatique où la magie des paysages qui défilent reflète celle des mondes intérieurs des protagonistes de leur soif d'absolu, mais aussi de leur poésie et de leur joie.
Les lieux deviennent même des personnages en tant que tel avec des noms qui chantent l'amour de Kerouac pour l'Amérique et ses espaces démesurés la Louisiane, le Colorado, l'Arizona, la Californie, et au-delà le Mexique.
La route c'est une ode à la vie, à la jeunesse éternelle et à la folie qui l'accompagne, au plaisir de déranger sans se prendre au sérieux, et de rire de ceux qui bien qu'encore jeunes étaient déjà vieux.
C'est un poème qui envoi valser la mort et lui fait un bras d'honneur dans un grand éclat de rire. C'est le récit d'une révolte qui n'est pas révolution, qui fait l'éloge de la mesure, au sens musical du terme, vivre en mesure, c'est à dire vivre selon le beat, le rythme de la route, comme celui du jazz et qui ne consiste en rien d'autre, qu'à se laisser porter et à jouir de l'instant.
Il est vrai qu'aucun des personnages ne trouvera l'authenticité tant désirée, mais, aucune authenticité n'est à notre portée, car vivre ce n'est jamais que vivre sa vie et non un absolu, la promesse de la route, sera donc toujours déçue elle ne satisfera jamais totalement notre attente, et surement pas celle de Kerouac insatiable. Mais le voyage est-il pour autant sans intérêt et dénué de sens ?
La route n'a-t'elle rien à apporter que désillusion et fatigue? Bien au contraire car il y a de la sagesse au fond des rêves qui ne s'accomplissent pas.
Elle nous a montré qu'il peut y avoir des expériences ratées mais magnifiques, des amitiés perdues mais que l'on oubliera jamais, des espoirs déçus, certes et pourtant plus riches que toutes les conquêtes. "et personne, absolument personne ne sait ce qui va échoir à tel ou tel, sinon les guenilles solitaires de la vieillesse qui vient, moi je pense à Neal Cassady, je pense même au vieux Neal Cassady, le père que nous n'avons jamais retrouvé, je pense à Neal Cassady, je pense à Neal Cassady".
BIBLIOGRAPHIQUE DE JACK KEROUAC.
Dans ses écrits on retrouve sa compassion pour les exclus, les clochards, les victimes du racisme,sa bohème sur les routes des Etats-Unis et du Mexique ainsi que sa vie riche en dérèglements des sens.
-Avant le route écrit de 1946 à 1948 publiée en 1950
-Sur la route écrit de 1948 à1956 publié en 1957-Gallimard, Folio 1976
-Sur la route, le rouleau original publié par Gallimard en 2010
-Les souterrains écrit en octobre 1953 publié en 1958 et chez Gallimard, Folio en 1985
-Les clochards célestes écrit en novembre 1957 publié en 1958 et chez Gallimard Folio en1974
-Docteur Sax écrit en 1952 publié en 1959 et chez Gallimard, Folio en 1994
-Maggie Cassidy écrit en 1953 publié en 1959 et chez Gallimard, Folio en 1986
-Tristessa écrit en 1955-1956 publié en 1960 et chez McGraw-Hill Compagnie en 1990
-Visions de Cody écrit en 1951-1952 publié en 1960 et chez Christian Bourgeois en 1993
-Le vagabond solitaire écrit en 1958-1950 publié en 1960 et chez Gallimard, Folio en 1980 précédé de "i am not a beatnik, I am a catholic" écrit par jack kerouac.
-Big Sur écrit en 1961 publié en 1962 et chez Gallimard, Folio 1979 -Visions de Gerard écrit en 1956 publié en 1963 et chez Gallimard Monde entier 1972
-Les anges de la désolation écrit de 1956 à 1961 publié en1965 et chez Denoêl 1998 Le premier titre en français : les anges vagabonds publié en 1973
-Satori à paris écrit en 1965 publié en 1966 et chez Gallimard, Folio en 1993
-Vanité Duluoz écrit en 1968 publié en 1968 et chez 10/18 en 1995 -Pic écrit de 1951 à 1969 publié en 1971 et chez La table Ronde, Miroir de la Terre 1988
-Vieil Ange de minuit suivi de Cité Cité Cite Shakespeare et L'Oudtsider écrit en 1956 publié chez Gallimard en 2001
-Les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines coécrit avec William Burroughs en 1945 publié en 2009 chez Penguin Classics -Vraie blonde et autre écrit de 1957 à 1969 publié en 1957 et chez Gallimard, Folio en 2003
-L'océan est mon frère écrit vers 1943 inédit perdu écrit durant ses années dans la marine marchande. Récit de 158 pages jamais publié outre atlantique avant 2011 et chez Gallimard en 2022 Il publiera également de nombreux essais et poèmes ainsi que des haîkus.